Oiseaux et Éoliennes (2/3)

La situation et le débat en France
Les mesures de protection et le positionnement de la LPO
page précédente         page suivante  →

Plan
1- La protection de l’avifaune en France
2- Les études et les recommandations de la LPO

3- Les réactions aux études et prises de position de la LPO
4- Autres études
5- Les solutions techniques : dispositifs d’effarouchement et autres
6- Les solutions par bridage selon les paramètres environnementaux

7- Les solutions par gestion du milieu
8- En guise de conclusion

Le problème de l’avifaune et des éoliennes est une question polémique que nous allons essayer de présenter à la lumière de l’expérience que nous avons accumulée depuis maintenant plus de dix ans autour de ces questions. Dans une première page, nous avions exposé les données du problème dans deux pays qui comptent un bien plus grand nombre d’éoliennes que la France. Dans cette deuxième page, nous examinerons les termes du débat en France, les mesures de protection et le positionnement de la LPO. Puis dans une troisième page nous expliquerons pourquoi nous pensons que la présence d’éoliennes constituerait un danger certain pour plusieurs espèces nichant dans le bois des Lens, ou le fréquentant.
Oiseaux et éoliennes 1/3 : Un sujet qui divise bien au-delà des frontières françaises.  Le débat en Allemagne et aux USA
Oiseaux et éoliennes 3/3 : La situation et le débat en France. Les mesures de protection et le positionnement de la LPO

 

La protection de l’avifaune en France

Dans notre beau pays, la protection des oiseaux est une affaire de l’Etat, par l’intermédiaire de différentes institutions et organismes, et d’associations sous la loi de 1901, dont les associations ornithologiques regroupées au sein de la LPO, Ligue pour la Protection des Oiseaux, que préside depuis 1986 Allain Bougrain-Dubourg (Allain, avec deux ailes, nomen est omen). Avant la création d’un cadre européen, ce sont la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites et la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature qui ont structuré le droit de l’environnement. L’action de l’Etat s’exerce dans le cadre d’une classification géographique (parc naturel national, etc;..) ou bien directement d’une classification d’espèces devant bénéficier de mesures particulières, parfois au plan national (par exemple le PNAAB, Plan National d’Action, dont bénéficie l’Aigle de Bonelli).

Voir :

– Un bilan fait par le Comité Français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) des 40 années de protection de la nature en France (lien)
– Un site malheureusement non mis à jour depuis longtemps, mais très informatif sur les lois concernant la protection de la nature (lien)
– Les dispositifs français de protection des espaces naturels, sur le site du ministère de l’environnement, pardon … du « développement durable » (lien)
– Le bois des Lens est une ZNIEFF: voir la page qui décrit ce dispositif sur le site du ministère de l’environnement. Outil de la connaissance de la biodiversité, l’inventaire ZNIEFF n’est pas juridiquement un statut de protection. (lien)

Deux directives européennes ont obligé l’Etat français à compléter les mesures de protection :
1- la directive Oiseaux de 1979 qui enjoint les États membres de l’Union européenne à mettre en place des zones de protection spéciale (ZPS) pour assurer un bon état de conservation des espèces d’oiseaux menacées, vulnérables ou rares.
2- la directive Habitats en 1992 qui oblige à la création des zones spéciales de conservation (ZSC), ayant pour objectif la conservation de sites écologiques présentant soit des habitats naturels ou semi-naturels d’intérêt communautaire, soit des espèces de faune et de flore rares, dont la liste est établie en annexe II de la directive Habitats.
La combinaison de deux types de sites forme le Réseau Natura 2000. Il est d’ailleurs possible qu’une zone soit à la fois une ZSC et ZPS. C’est le cas du site des Gorges du Gardon.

A cela il faut ajouter la SCAP et la Trame Verte et Bleue. La loi Grenelle I du 3 août 2009 demande l’élaboration d’une stratégie nationale de création d’aires protégées terrestres (SCAP) afin que 2 % au moins du territoire terrestre métropolitain soit placé dans les dix ans sous protection forte. S’ajoute le concept de Trame Verte et Bleu dont la définition la plus claire semble être  » la somme des zones de connexion biologique et des habitats naturels connectés ». Le résultat le plus concret en est la définition de couloirs (corridors) de déplacement (dont migrations) de la faune sauvage, et de couloirs (corridors) de dispersion de la flore.

Voir :

-La stratégie nationale pour les aires protégées (lien)
-La Trame Verte et Bleue (lien)
-Voir le statut du bois des Lens dans le dispositif TVB (lien)

Une des institutions chargées de veiller au maintien de la biodiversité est l’OFB (Office français de la biodiversité). Cet établissement public de l’État, créé par une loi de 2019 contribue, s’agissant des milieux terrestres, aquatiques et marins, à la surveillance, la préservation, la gestion et la restauration de la biodiversité ainsi qu’à la gestion équilibrée et durable de l’eau en coordination avec la politique nationale de lutte contre le réchauffement climatique. Il résulte de la fusion, au 1er janvier 2020, de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).

La Commission européenne a adopté en octobre 2020 une stratégie Biodiversité 2030 ambitieuse et la conférence mondiale des Nations unies (COP15) sur la diversité biologique, prévue au printemps 2022 en Chine, doit aboutir à l’adoption d’un nouveau cadre mondial pour la prochaine décennie.

Voir :

– Le Pacte vert de l’UE (lien)
– Le premier projet de Cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020  (lien)
– Résumé en français  (lien)

La France a adopté, dans la loi Climat et résilience de 2021, l’objectif ambitieux de placer 10% de son territoire national en protection forte, ceci consistant, si on en croit le site de l’Elysée, « à exclure ou à fortement limiter toutes les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des espaces. » Pour ce qui est de l’objectif premier de cette loi, (développer le réseau d’aires protégées pour atteindre au moins 30% de couverture du territoire national et de nos espaces maritimes), le gouvernement semble considérer qu’il est déjà atteint pour les zones terrestres. Sans doute additionne-t-on toutes les variétés de zones de protection ou d’inventaire comme les ZNIEFF pour arriver à ce pourcentage.

Voir :

– Pour avoir une idée du nombre des statuts de protection (lien)
– Le positionnement de la France pour le Congrès mondial de la Nature sur le site de l’Elysée (lien)
– Le document STRATÉGIE NATIONALE POUR LES AIRES PROTÉGÉES 2030 (lien)

La feuille de route de cette stratégie nationale pour la biodiversité a été présentée mardi 7 septembre, à l’occasion du Congrès mondial de la nature à Marseille. Elle vise à enrayer la disparition des espèces et la dégradation des écosystèmes d’ici à 2030. La secrétaire d’Etat à la biodiversité, Bérangère Abba, a insisté sur la nécessité de structurer et de renforcer les aires protégées et d’intensifier les efforts de restauration d’écosystèmes importants et a annoncé la création de cinq nouvelles aires protégées, dont deux sous protection forte : création de deux parcs naturels régionaux en Occitanie (Corbières-Fenouillèdes, entre Aude et P-O) et dans le Doubs, extension d’un site Natura 2000 en Normandie, création d’une réserve intégrale en Provence-Alpes-Côte d’Azur et extension de la réserve naturelle d’Iroise en Bretagne.

Des efforts sont donc fait dans le domaine du classement des zones, mais il ne semble pas y avoir de nouvelles mesures pour des espèces précises. Comment tout cela sera-t-il concrétisé et harmonisé avec le développment conséquent des énergies renouvelables ? La question reste ouverte.

Pour l’Occitanie, signalons la Stratégie régionale pour la Biodiversité (SrB) de la région. Elle articule 5 objectifs présentés comme des défis collectifs dont le premier est : « Réussir le zéro artificialisation nette à l’échelle régionale à horizon 2040. Cible collective 2040 : « zéro artificialisation nette et non perte nette de biodiversité « .vC’est loin, 2040.

Le territoire national est donc divisé en zones bénéficiant de protections plus ou moins anciennes et plus ou moins contraignantes, et de zones sans protection, ce qui n’exclut pas que leur richesse faunistique et floristique soit reconnue, comme cela l’est pour les ZNIEFF. Ce cadre en apparence strict peut cependant faire l’objet de dérogations accordées si pour un projet industriel ou agricole il est démontré dans le dossier d’étude qu’il ne peut pas être réalisé ailleurs, ou bien que des mesures de compensation satisfaisantes seront mises en œuvre. La doctrine qui s’applique est la fameuse séquence « éviter-réduire-compenser », principe de développement durable visant à ce que les aménagements n’engendrent pas d’impact négatif sur leur environnement, et en particulier aucune perte nette de biodiversité dans l’espace et dans le temps. Ambitieux programme!!!

 

Les études et les recommandations de la LPO

Pour ce qui concerne la LPO, une phrase attribuée à Allain Bougrain-Dubourg figure sur de nombreuses pages de leur site : « Les transitions énergétiques ne peuvent s’exonérer de la prise en compte de la biodiversité et sont condamnées à réussir ensemble. »  Mais le positionnement de la LPO vis-à-vis de l’éolien est plus complexe et a été précisé en 2019 dans un document intitulé PLATEFORME DE POSITIONNEMENT DE LA LPO SUR L’ENERGIE (Mise à jour validée au Conseil d’administration du 16 novembre 2019. ) (lien) Nous en tirons les extraits suivants:

– « la LPO estime que les énergies fossiles et fissiles résiduelles doivent, à terme, être remplacées par des énergies renouvelables décentralisées, faiblement émettrices de gaz à effet de serre (GES) et présentant des risques technologiques faibles et maîtrisés ; le développement de chaque projet devant se faire dans le respect d’une séquence ERC (Eviter, Réduire, Compenser) exemplaire visant une non perte nette – voire un gain – de biodiversité. C’est pourquoi la LPO soutient le scénario Négawatt à droit environnemental constant. »

« la LPO est défavorable au développement d’énergies renouvelables générant des impacts négatifs importants pour la biodiversité et s’autorise un jugement au cas par cas sur la base d’arguments objectifs. Chaque plan, programme ou projet doit faire la preuve de sa neutralité vis-à-vis de la biodiversité conformément au droit de l’environnement. »

– « Concernant l’éolien, la LPO est favorable au maintien des éoliennes au sein du régime ICPE autorisation qui impose étude d’impact et enquête publique. La LPO regrette l’absence de planification effective et opposable à une échelle administrative suffisamment large (département ou région) visant à préserver les sites présentant de forts enjeux de
biodiversité, notamment les Zones de protection spéciales (ZPS) et les Zones spéciales de conservation (ZSC) dont la création résulte de la présence de chauves-souris.
.pour l’éoilen la LPO est favorable aux projets faisant l’objet d’une démarche ERC rigoureuse. Les espaces vitaux (sites de nidification, d’alimentation ou d’hivernage) et les voies de déplacement des espèces patrimoniales (en particulier des rapaces) doivent être préservés de l’implantation d’éoliennes. La LPO est, en particulier, défavorable aux projets éoliens en ZPS et ZSC « chauves-souris » ».

La LPO avait précédemment publié une étude très médiatisée intitulée « Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune Etude des suivis de mortalité réalisés en France de 1997 à 2015 – Juin 2017 ». Cette étude est actuellement accessible sur un site, eolien-biodiversite, qui semble présenter des problèmes de sécurité de connexion. Ou sur le site actu-environnement.

Il s’agit d’une compilation de données obtenues à partir des études de suivis effectuées sur des sites éoliens, centrée sur la mortalité directe des oiseaux par collision avec les éoliennes, une attention particulière est portée aux ZPS créées en application de la Directive Oiseaux. On peut, sans exagération aucune, qualifier ces données de lacunaires. En effet, l’étude précise que :

– jusqu’à 2011, sauf obligation expresse figurant dans l’étude d’impact, les centrales éoliennes n’étaient pas obligées d’effectuer un suivi de mortalité.
– à partir de 2011, le suivi est obligatoire, mais seulement au bout de trois ans de fonctionnement. Les exploitants ont une obligation de tenir à disposition des DREALs les documents de suivi, mais les DREALs ne les demandent pas systématiquement.
– les auteurs de l’étude ont obtenu « très peu de rapports …. après 2011 »
– ces documents ne comportent parfois aucun suivi de mortalité : « certains se contentent de suivis des habitats ou de suivis d’activité – des migrateurs, des nicheurs, des chiroptères –suivis qui n’excluent pas nécessairement des prospections rapides ou des découvertes fortuites. »
– au final, pour les éoliennes en fonctionnement en 2015 : pas de données pour 75%, un suivi de mortalité pour 13%, des données mais pas de suivi de mortalité pour 8%

Pour les centrales éoliennes ayant fourni des données:

– les superficies prospectées sont extrêmement variables.
– les suivis sont effectués avec une périodicité très variable : une semaine par an, une fois par semaine, un mois par an, etc…
– 54 % des suivis de mortalité ont été réalisés une seule année sans être reconduits l’année suivante.
– 30,4 % des centrales éoliennes situées à moins de 500 m d’une ZPS ont effectué des suivis de mortalité, contre seulement 10,2% pour les autres, répondant en cela à des exigences plus marquées de l’administration.

En compilant toutes les sources, l’étude arrive à 1 102 cas de mortalité directe d’oiseaux imputables aux éoliennes et 1 279 cadavres de chauves-souris. 803 cadavres d’oiseaux sont issus de 35 903 prospections réalisées sous 532 éoliennes appartenant à 91 parcs. Puis fait le commentaire suivant :
« (…) il y a naturellement une corrélation forte entre le nombre de cadavres découverts et le nombre de prospections effectuées : plus on effectue de prospections, plus on a de chance de découvrir un nombre important de cadavres dans l’année. On voit également, et cela est moins intuitif, que les parcs qui ont fait l’objet du plus grand nombre de prospections dans l’année sont aussi ceux qui mettent en évidence le plus grand nombre de cadavres par prospection. »

Les espèces les plus fréquemment trouvées sont :

– Roitelet à triple bandeau
– Martinet noir
– Faucon crécerelle → Classé « quasi menacé »
– Mouette rieuse
– Alouette des champ → Classé « quasi menacé »
– Buse variable
– Rouge-gorge familier
– Faucon crécerellette → Classé vulnérable
– Milan noir
– Milan royal → classé vulnérable
– Busard cendré → Classé « quasi menacé »

Les rapaces les plus fréquemment trouvés sont :

– Faucon crécerelle → Classé « quasi menacé »
– Buse variable
– Faucon crécerellette → Classé vulnérable
– Milan noir
– Milan royal → Classé vulnérable
– Busard cendré → Classé « quasi menacé »
– Épervier d’Europe

 Remarque:

L’étude n’a trouvé aucun cadavre de Circaète ou d’Aigle de Bonelli. Pour rappel, les compilations de Tobias Dürr (avril 2017) mentionnent 54 cas pour le circaète et 1 pour l’Aigle de Bonelli (en Espagne). Depuis, cependant, deux Circaètes (et un Faucon crécerellette) ont été trouvés en 2020 à proximité de deux parcs éoliens de la commune d’ASSAC, dans le Tarn (81). Voir à ce sujet l’article sur le site de la LPO.

Après une longue discussion critique des données utilisées, des références à des comparaisons internationales et l’application de modèles de correction, l’étude en arrive à un résultat chiffré, basé essentiellement sur 8 parcs ayant appliqué des méthodes standardisées de suivi et d’évaluation, et présentant CITATION des sensibilités environnementales fortes.FIN DE CITATION Au final leurs conclusions ne vont concerner que 1,38 % des éoliennes françaises et seront :

« La mortalité réelle due aux éoliennes n’est, quant à elle, estimée que pour très peu de parcs, souvent localisés dans des ZPS ou présentant de fortes sensibilités avifaunistiques. Pour les huit parcs concernés, qui représentent 1,38 % des éoliennes françaises, la mortalité réelle estimée varie de 0,3 à 18,3 oiseaux tués par éolienne et par an, la médiane s’établissant à 4,5 et la moyenne à 7,0. Certains parcs n’impactent donc qu’un faible nombre d’oiseaux, du moins en ce qui concerne la mortalité directe par collision, tandis que d’autres peuvent être plus impactants. »

Ces chiffres ( 0,3 à 18,3 oiseaux tués par éolienne et par an, ou bien 4,5 ou 7,0) seront repris dans de nombreux articles de presse et dans les publications promouvant l’éolien, oubliant bien sûr toutes les nuances et le fait que cette estimation était basée sur des données concernant en tout et pour tout huit sites.
Et oubliant surtout les autres conclusions de l’étude : ce faible échantillon « est non représentatif des parcs éoliens français, (…) ne permet pas d’établir une estimation de la mortalité directe due à l’ensemble des éoliennes françaises sur les oiseaux. »
Et surtout : « La compilation de ces données permet toutefois de montrer que la mortalité occasionnée par les éoliennes (…) peut varier fortement d’un parc à l’autre et qu’elle peut s’avérer problématique, en particulier pour les parcs situés à proximité de ZPS, lorsque les espèces impactées sont dans un mauvais état de conservation au niveau local ou national. »

Sur la méthode utilisée par la LPO pour aboutir à ces chiffres, voir la page « Etude LPO » sur ce site .
LIEN VERS CETTE PAGE EN ATTENTE

A consulter sur le site de la LPO :

JUIN 2017 : Impact de l’éolien sur l’avifaune en France : la LPO dresse l’état des lieux (c’est sur cet article, plus que sur l’étude que seront basés les articles de presse) (lien)

Une seconde étude, publiée conjointement par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) et la LPO en 2019 n’apporte aucun élément nouveau sur la mortalité directe, mais une réflexion sur les moyens de développer l’éolien de façon acceptable pour l’avifaune et les chiroptères.

– Éoliennes et biodiversité: Synthèse des connaissances sur les impacts et les moyens de les atténuer (lien)
– Le communiqué de presse de la LPO (lien)

Y sont abordées, entre autres :
– la question du dérangement des espèces :

« Le dérangement des espèces nicheuses en phase d’exploitation a probablement un impact plus néfaste sur lesespèces les plus patrimoniales, en particulier celles à maturité lente et à faible productivité annuelle. L’effet cumulatif des parcs éoliens en termes de dérangement des oiseaux ou de surcoût énergétique dans leur cycle annuel a probablement souvent un impact plus marqué sur les populations que la mortalité directe de certains individus. »

– la question de la perte ou modification d’habitat :

L’étude cite diverses études concernant des Aigles royaux dans les Pyrénées ou au Portugal (Riols-Loyrette, 2015 / Ittyet – Duriez,2018 / Marques et al., 2017), qui présentent des conclusions convergentes. Selon Ittyet – Duriez,2018 : Bien qu’il soit difficile de généraliser à partir du suivi d’un seul couple, cet exemple montre que l’installation de trois parcs éoliens sur un territoire d’aigle a un impact significatif sur l’organisation de ses déplacements et sur le choix de ses zones de chasses. Globalement, la construction de parcs éoliens génère une perte d’habitats pour les aigles et perturbe leurs déplacements d’une zone à l’autre. Les chiffres de perte dans l’utilisation des habitats obtenus sont par ailleurs très largement supérieurs à ce qui est en général proposé en mesures compensatoires.« 

– l’effet « barrière » :

Il s’agit du contournement d’une centrale éolienne par des oiseaux en migration. Des observations ont été faites sur certaines espèces, comme la Grue cendrée en Champagne-Ardennes, ou les cygnes. Aucune conclusion ne peut être tirée : « L’impact de l’effet barrière sur les populations d’oiseaux migrateurs reste aujourd’hui dif­ficile à évaluer et nécessiterait donc de plus amples travaux de recherche. »

– la question des zones protégées (ZPS)

La mortalité directe due aux éoliennes est au moins deux fois plus importante à proximité des zones de protection spéciale (ZPS). De plus, elle y affecte bien plus qu’ailleurs les espèces inscrites à l’annexe I de la directive Oiseaux mais également celles considérées comme menacées sur la liste rouge française des oiseaux de France métropolitaine (Marx, 2017). Il convient donc d’éviter d’implanter des éoliennes dans ces périmètres à forts enjeux avifaunistiques – c’est ce que font déjà 15 régions métropolitaines – ainsi que dans une zone tampon correspondant au rayon d’action des espèces ayant justifié ces classe­ments en ZPS, d’autant plus lorsque celles-ci sont réputées sensibles à l’éolien (rapaces, planeurs, migrateurs).

A la lecture des études de la LPO, on perçoit une forte inquiétude des naturalistes pour ce qui concerne les centrales éoliennes situées à proximité ou dans des zones fréquentées par des espèces peu nombreuses ou particulièrement sensibles au risque de collision ou de perte d’habitat, comme le montrent ces extraits des conclusions de l’étude de 2019.

« En ce qui concerne les oiseaux, deux groupes sont principalement impactés en France jusqu’à aujourd’hui : les passereaux que l’on retrouve essentiellement sous les éoliennes
au moment des pics de migration nocturne, et les rapaces diurnes qui entrent en collision avec les éoliennes durant toute la période où ils sont présents sur le site (en migration, en
période de nidification voire toute l’année pour les sédentaires) (Erickson et al., 2014 ; Marx,2017). Ces deux groupes sont également sujets au dérangement en phase ­d’exploitation,
ce qui peut se traduire par des échecs de nidifications ou des pertes d­’habitat (Garcia et al., 2015 ; Gómez-Catasús et al., 2018 ; Itty et al., 2018). »

« Les dispositifs techniques visant à réduire le risque de collision des oiseaux avec les éoliennes ne permettent pas, aujourd’hui, d’éviter à eux seuls la mortalité d’individus appartenant à des espèces patrimoniales sur des sites présentant de forts enjeux avi­faunistiques, et ne sont pas en mesure d’enrayer l’impact de cette surmortalité éolienne sur la dynamique de certaines populations de rapaces (Duriez et al., 2018). « 

« En attendant, l’évitement des sites présentant un intérêt pour les espèces patrimoniales et la réduction de l’emprise des projets vis-à-vis des voies de déplacement de l’avifaune restent aujourd’hui les mesures les plus efficaces pour réduire le risque de collision et de dérangement en phase d’exploitation. « 

« L’interdiction de l’éolien sur les sites du réseau « Natura 2000 », notamment les ZPS (directive Oiseaux) et les ZSC (directive Habitats) en faveur des chiroptères, est un
exemple de mesures que plusieurs organismes comme la LPO et l’ONCFS recommandent de mettre en place en France, et dont l’application sur tout le réseau européen serait bénéfique ».

 

Réactions aux études et prises de position de la LPO

Le positionnement de la LPO en faveur des énergies renouvelables et son implication dans des problématiques complexes la conduisent à produire ce genre de documents très (trop) nuancés. Leur qualité scientifique n’est pas en cause, mais le problème est qu’il sont facilement utilisables pour alimenter des argumentaires niant le danger créé pour l’avifaune. Nous ne citerons qu’un exemple, celui d’Alternatives Économiques, revue intéressante et souvent stimulante, mais qui ayant pris fait et cause pour l’éolien, fait passer un message qui s’appuie sur une simplification abusive des études de la LPO. Dans un article récent intitulé « Les énergies renouvelables sont-elles vraiment une « catastrophe écologique » ? », signé par Antoine de Ravignan, on trouve la liste complète des arguments minimisant le risque pour l’avifaune :

« Des oiseaux se prennent dans les pales des éoliennes. Mais combien ? La Ligue de protection des oiseaux (LPO) a estimé qu’une éolienne tue 0,3 à 18 oiseaux par an. C’est bien moins qu’un chat errant, environ 60 oiseaux par an, encore selon la LPO . S’ajoute la mortalité due aux vitres des bâtiments et aux pare-brise des autos, autrement plus importante. Et encore plus celle liée à la destruction du milieu par l’agriculture intensive. Les exploitants de parcs n’en sont pas moins très attentifs à ce problème et collaborent avec les collectivités et associations locales pour réduire leur impact sur l’avifaune, par exemple avec des dispositifs de surveillance et d’effarouchement. »

Une page du site « Notre Planète Info » reprend l’argumentation de la LPO, mais ajoute également des informations provenant d’autres sources. Sont cités les propos tenus en avril 2021 par un maire de l’Yonne, qui tire un bilan sombre de l’expérience faite dans sa commune d’une centrale de 5 éoliennes particulièrement meurtrières :

« Quand la commune a accepté d’installer des éoliennes sur son territoire, elle souhaitait participer à la transition écologique. Or au pied des éoliennes, on trouve des milans noirs, des faucons crécerelles, des alouettes, des martinets, des roitelets et des chauves-souris. Nous avons un des parcs qui tue le plus en proportion du nombre d’éoliennes installées. 14 % des milans noirs tués par des éoliennes chaque année en France le sont dans ce parc ! Je ne pensais pas que ce serait aussi important. C’est trop dommageable.»

La page de « Notre Planète Info » intitulée « Quel est l’impact des éoliennes sur la mortalité des oiseaux ? » (lien)

Le témoignage du maire de l’Yonne peut être vu sur Youtube :

Autres études

Il existe d’autres études sur l’impact du développement éolien sur les chiroptères et les oiseaux, par exemple celle de Vincent TERNOIS, du Centre permanent d’initiatives pour l’environnement du Pays de Soulaines, intitulée « État des lieux provisoire sur la mortalité connue en Champagne-Ardenne (actualisation 2018) » et publiée dans le N° 3 -2019 de la Revue Plume de Naturalistes, accessible en ligne (lien).

Cette étude intègre l’ensemble des données compilées par les partenaires associatifs et privés sur le territoire de l’ancienne région Champagne-Ardenne jusqu’en 2018. On y lit entre autres :

– L’étude révèle  » une sensibilité inattendue sur un certain nombre de passereaux migrateurs nocturnes (Roitelet à triple bandeau, Rouge gorge familier…), sur le Martinet noir et la Perdrix grise. Par contre, la sensibilité des rapaces diurnes, déjà mise en évidence à l’échelle européenne (Dürr , 2019b), est confirmée, notamment en ce qui concerne le Milan royal, la Buse variable et le Faucon crécerelle. On retiendra également les cas de collision avec les mâts de Perdrix grises et Perdrix rouges (Phasianidés). Trente cadavres de perdrix ont été découverts dans ces conditions ».

– « Avec près de 30 % des données, la sensibilité des rapaces diurnes est conforme aux données collectées à l’échelle européenne (D ürr , 2019b), notamment en ce qui concerne le Faucon crécerelle, la Buse variable, le Milan royal et le Milan noir (Figure 7). Dix-huit données de Milan royal ont été collectées. Il s’agit d’un résultat particulièrement élevé par rapport à la taille des populations transitant par la région et en comparaison avec le caractère plus commun de la Buse variable et du Faucon crécerelle ».

– « Seulement trois données de Busard cendré et de Busard Saint-Martin, deux espèces dont les populations nicheuses et migratrices sont importantes en région, ont été collectées. Ce résultat peut s’expliquer par la faiblesse des études de la mortalité estivale (période de reproduction) mais aussi par les caractéristiques des premiers parcs éoliens suivis, notamment le fait que la distance entre le rotor et le sol était particulièrement importante. Toutefois, les nouveaux projets éoliens et le renouvellement d’anciens aérogénérateurs tendent à diminuer cette distance sol/rotor, augmentant en conséquence les risques de collisions pour ces espèces évoluant à faible hauteur ».

 

Les solutions techniques : dispositifs d’effarouchement et autres

Pour les développeurs des parcs éoliens, il existe une solution au problème des rapaces ou autres grands oiseaux : l’utilisation de dispositifs d’effarouchement sonore, comme le système DT Bird. D’après son concepteur, les rapaces de moyenne taille (buses, bondrées, milans…) y seraient assez sensibles. Il induirait une prise en compte de l’obstacle devant eux pour des oiseaux dont on suppose qu’ils risquent le plus la collision avec les pales lorsqu’ils volent le regard ciblé vers le sol.

Cependant aussi bien les auteurs l’étude de la LPO « Synthèse des connaissances sur les impacts et les moyens de les atténuer. », que les chercheurs chargés des suivis pour les aigles royaux sont pessimistes quant à cette technique :

– l’étude de la LPO (2019) passe en revue les différentes technologies de détection des individus s’approchant d’une éolienne, qui peuvent déclencher soit l’arrêt de l’éolienne, soit la mise en service d’un système d’effarouchement. Mais elle précise également que l’arrêt d’une éolienne n’est pas instantané, que les dispositifs de repérage n’ont pas encore atteint un taux d’efficacité remarquable, et que les dispositifs d’effarouchement sonores sont pas viables sur le long terme en raison d’une accoutumance plus ou moins rapide de l’avifaune. Il est précisé  « Enfin, il est important de préciser que la plupart des techniques n’ont pas été testées pour des parcs éoliens, voire pas testées du tout (Bridges et al., 2004 ; Gartman et al., 2016b). » Ce qui semble signifier qu’elles sont utilisées sans certitude aucune de leur efficacité.

– Dans l’étude intitulée  » Impact éolien sur l’aigle royal (Aquila chrysaetos) : Principaux enseignements obtenus en 4 ans de suivi GPS sur un site emblématique du sud du massif central » (Christian ITTY, Association BECOT)(lien), il est rapporté la découverte du cadavre d’un « aigle mort non loin de l’éolienne, les indices récoltés ne laissant pas de place au doute quant à une collision… Le fait que cet aigle ait été retrouvé mort au pied d’une éolienne de ce parc qui est équipée du système DT Bird, dont la mise en place sert aussi à justifier l’absence d’impacts futurs, nous laisse par ailleurs particulièrement perplexes sur l’efficacité de ces mesures de réduction. »

Ces techniques, qui n’ont donc aucunement fait réellement la preuve de leur efficacité, posent de surcroit deux types de problèmes. Leur utilisation dans des sites présentant un enjeu pour l’avifaune ou les chiroptères semble faciliter l’acceptation du risque par les pouvoirs publics, qui accordent plus facilement les autorisations lorsque ces dispositifs sont prévus, de même qu’elle sert d’argument en direction de l’opinion publique, comme le montre la citation de l’article d’ Alternatives Économiques mentionnée plus haut. De plus, l’utilisation de ces techniques implique, comme cela est bien décrit dans la seconde étude de l’ONF pour ce qui concerne le bridage des éoliennes pour les chiroptères, une forme d’acceptabilité de la mortalité qui, avec l’augmentation du nombre des éoliennes, aura des conséquences néfastes si rien n’est fait pour réduire fortement les autres pressions anthropiques.

 

Les solutions par bridage selon les paramètres environnementaux

Cette technique est utilisée pour diminuer les risques de collision des chauves-souris. L’activité des chiroptères serait fortement dépendante de paramètres climatiques et temporels qui permettent de prédire les périodes où le risque de collision est le plus élevé. Mais ces techniques ne semblent pas efficaces pour les oiseaux, dont l’activité est moins prévisible.

 

Les solutions par gestion du milieu.

Nous renvoyons pour cela à l’étude de la LPO « Éoliennes et biodiversité: Synthèse des connaissances sur les impacts et les moyens de les atténuer. » On y trouve une discussion très argumentée de la façon dont le site et les alentours d’une centrale éolienne peuvent être gérés afin de minimiser l’impact sur l’avifaune et les chiroptères. Mais on y trouve aussi la constatation que ces mesures sont difficiles à mettre en place, car elles demandent une maîtrise du foncier sur des superficies importantes. Le second obstacle à une réelle efficacité est le fait que les mesures améliorant la situation d’une espèce vont faire empirer celle d’une autre espèce. Pour les détails, voir l’étude téléchargeable.

 

En conclusion

Nous citerons les recommandations que la LPO souhaite voir appliquées dans les zones qui ne bénéficient pas d’une protection forte :

« En plus de devoir éviter les zones réglementaires interdisant l’éolien ou le réglementant, d’autres sites et aires naturelles, non réglementaires, doivent être pris en compte afin de
prévenir les impacts sur la faune et la flore (Kiesecker et al., 2011 ; Gartman et al., 2016a ; MEEM, 2016).

Pour l’ensemble des taxons, il s’agit notamment d’éviter :

• les zones humides : à la fois des zones de repos et d’alimentation pour les oiseaux
d’eau migrateurs et hivernants, ou des sites de chasse pour les chiroptères (Dirksen
et al., 1998 ; Giovanello & Kaplan, 2008 ; Nairn, 2011 ; Gartman et al., 2016a ; Roeleke
et al., 2016) ; ces zones sont aussi des sites importants pour les amphibiens ;

• les forêts et autres boisements (notamment les peuplements de feuillus) qui
accueillent de nombreuses espèces de chiroptères mais aussi d’oiseaux ; ces milieux
sont considérés comme des réservoirs de biodiversité abritant de nombreux taxons
(Giovanello & Kaplan, 2008 ; Averbeck, 2015 ; Enevoldsen, 2016).

Pour les oiseaux :

• les sites d’importance : aires d’hivernage, sites de nidification ;
• les espaces vitaux des rapaces sensibles à l’éolien ou menacés, notamment ceux faisant l’objet d’un Plan national d’actions ou d’un Life ;
• les axes de migration importants comme le littoral et les vallées fluviatiles ;
• les crêtes et falaises qui concentrent les courants et favorisent le passage des migrateurs et rapaces à basse altitude. Ce sont aussi des micro-habitats servant pour la reproduction de rapaces comme l’aigle royal et le grand-duc d’Europe , ou même de leurs proies ;
• les forêts et autres boisements pouvant accueillir certaines espèces patrimoniales ou sensibles à l’éolien comme la bécasse des bois . »