Oiseaux et Eoliennes (1/3)

Un sujet qui divise bien au-delà des frontières françaises :
Le débat en Allemagne et aux États-Unis
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Plan
1- LE DÉBAT EN ALLEMAGNE
2-
LE DÉBAT AUX ETATS-UNIS

Le problème de l’avifaune et des éoliennes est une question polémique que nous allons essayer de présenter à la lumière de l’expérience que nous avons accumulée depuis maintenant plus de dix ans de travail autour de ces questions. Nous nous efforcerons dans cette page d’exposer les données du problème dans deux pays qui comptent un bien plus grand nombre d’éoliennes que la France. Dans une deuxième page, nous examinerons les termes du débat en France, les mesures de protection et le positionnement de la LPO. Puis dans une troisième page nous expliquerons pourquoi nous pensons que la présence d’éoliennes constituerait un danger certain pour plusieurs espèces nichant dans le bois des Lens, ou le fréquentant.
Oiseaux et Eoliennes (2/3) : La situation et le débat en France. Les mesures de protection et le positionnement de la LPO

Oiseaux et Eoliennes (3/3) La problématique du bois des Lens

La montée en puissance de l’énergie éolienne coïncide avec une période critique pour la faune européenne. Les évolutions des pratiques agricoles, le morcellement des territoires, la multiplication des routes, l’urbanisation et d’autres facteurs ont entraîné une diminution drastique des effectifs de nombreuses espèces. Pour rappel, en 2018 les chercheurs du Muséum d’Histoire Naturelle annonçaient que “les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse. En moyenne, leurs populations se sont réduites d’un tiers en 15 ans. Au vu de l’accélération des pertes ces deux dernières années, cette tendance est loin de s’infléchir…
Quelques années et quelques comptages plus tard, les choses ne vont pas mieux. Le rapport de synthèse du Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) publié en 2021 montre que sur les 123 espèces d’oiseaux les plus communes en France, “32 espèces sont certes en expansion, mais 43 régressent. Les autres sont stables ou en trop faible effectif pour déterminer une tendance significative”.

Pour les insectes volants, l’inquiétude est encore plus grande. L’étude de 2017 qui a mis en avant la baisse des effectifs pour ces espèces a conclu à “une baisse de 75% de la biomasse totale des insectes volants depuis 27ans”.

Références : 
Voir le site du Museum d’Histoire Naturelle pour le déclin des oiseaux en France (lien)
Voir le site de la LPO: Bilan inquiétant de 30 années de comptages des oiseaux en France (lien)
L’étude allemande concluant au déclin des insectes (lien)
Un résumé en français de cette étude (lien)

 

LE DÉBAT EN ALLEMAGNE

Ce pays compte beaucoup plus d’éoliennes que la France et la question de la mortalité des oiseaux y est sans doute étudiée de façon plus active. Ce sont d’ailleurs les études et les compilations réalisées par les équipes du Professeur Tobias Dürr qui sont le plus régulièrement citées par les bureaux d’études dans les documents qu’ils produisent pour les parcs éoliens. Malheureusement elles ne sont pas éditées en français, et même assez difficilement accessibles en anglais sur internet. Une étude récente du Pr Dürr (2017) sur deux parcs dans le Brandebourg présente l’avantage d’avoir été effectuée par une équipe scientifique sans lien avec les exploitants des sites et dans un but de comparaison entre deux types d’éoliennes. Cette étude donne les chiffres suivants : entre 1,4 et 3,3 rapaces d’espèces diverses tués par machine et par an. Rapportons cela à l’échelle du bois des Lens et calculons ce qu’il restera dans quelques années si les éoliennes sont construites.

Références:
– L’étude en question (en anglais) : lien
– Un portail vers de nombreuses études allemandes (en anglais) : lien
– La page d’introduction des études concernant les oiseaux et les chauves-souris sur le site du Bureau de l’Environnement du Land de Brandebourg : lien 
– Et le dossier contenant les données espèce par espèce : lien

Dans une première phase, il y a eu peu d’opposition aux éoliennes en Allemagne. Elles ont tout d’abord été construites dans les plaines du nord du pays. L’opposition est apparue au sud du pays, aux paysages plus variés, pour des raisons paysagères mais surtout en raison du constat de la dangerosité pour les oiseaux et les chauves-souris. Le pape de l’ornithologie allemande, Peter Berthold, longtemps Directeur de Centre de Recherche Ornithologique de l’Institut Max Planck, est souvent cité par les développeurs comme un soutien de l’éolien. Il avait donné en 2013 une interview en ce sens à un magazine, mais a depuis révisé son avis. Voici ce qu’il écrit dans son livre « Unsere Vögel » (« Nos oiseaux », un best-seller en Allemagne) paru en 2017, dans un court chapitre intitulé « Eoliennes ».

 “Un problème de plus en plus préoccupant pour les oiseaux, mais également pour les chauves-souris et même pour les insectes (et qui n’apparaît pas encore dans la liste de Jedicke) vient des installations éoliennes modernes destinées à la production d’électricité. Au moment de la mise en service des premières installations de ce genre j’ai supervisé une des toutes premières thèses de doctorat traitant de cette question (Bergen, 2001). Elle ne mettait en évidence aucune conséquence négative notable pour les oiseaux. Cela s’est totalement transformé depuis en raison de la multiplication des installations éoliennes. Il y en a actuellement en Allemagne plus de 25 000 en fonctionnement, surtout dans le nord et l’est du pays. Elles font chaque année selon les comptages, les estimations et les transferts statistiques effectués des centaines de milliers de victimes parmi les oiseaux. Certaines espèces sensibles sont particulièrement touchées, en tout premier le Milan Royal. Pour cette espèce les pertes annuelles dues à des collisions avec les pales dans le Brandebourg atteignent le pourcentage de 3 % de la population totale, ce qui crée une situation critique pour la continuité de l’espèce.
Etant donné que c’est en Allemagne que plus de la moitié de la population mondiale du Milan Royal se reproduit, il est à craindre que la poursuite du développement des installations éoliennes va mettre en danger la survie de ce rapace ainsi que de beaucoup d’autres espèces, tout particulièrement la Buse variable mais aussi de nombreux oiseaux de mer.
De plus il ressort d’études de plus en plus nombreuses que la présence des installations éoliennes réduisent la densité des zones de nidations, car de nombreuses espèces ne nichent pas à leur proximité”.

L’acceptation des éoliennes est un problème crucial pour l’Allemagne depuis qu’a été prise la décision d’arrêter les centrales nucléaires en 2022. La question du Milan Royal (Rotmilan), dont 50% des couples se reproduisent sur le territoire allemand, est devenu un problème national très souvent abordé dans la presse. Il n’est que le deuxième dans le classement des victimes les plus fréquentes parmi les rapaces, la buse variable étant le premier, mais attirant moins l’attention médiatique. Dans le Land de Hesse, un accord a été passé entre NABU (la LPO allemande) et le Land pour un zonage qui prévoit que seulement 1% du territoire du Land serait ouvert à de nouveaux parcs, ce qui nous évoque les instructions récentes données par la ministre B. Pompili aux préfets en France.

 

LE DÉBAT AUX ÉTATS-UNIS

La capacité de production éolienne était en janvier 2021 de 122 478 megawatts, mettant les USA au « 3ème rang dans le monde après la Chine et l’U.E. Mais cela ne représentait que 8,42 % de la production totale d’électricité. Les objectifs du Département de l’Energie sont de couvrir 20 % des besoins en électricité avec de l’éolien en 2030. La tendance est souvent à la construction de grands parcs .
C’est également dans un contexte de déclin des populations d’oiseaux que s’inscrit cette montée en force de l’éolien. Le rapport « State of the Birds 2019 » fait état de baisses impressionnantes : depuis le début des années 70, moins 22 % pour les oiseaux des forêts, moins 37 % pour les oiseaux marins, moins 53 % pour les oiseaux des prairies. On ne trouve plus que 20% des effectifs de 1970 de l’Hirondelle de rivage (Riparia riparia/ Bank Swallow) et de la Sturnelle des prés (Sturnella magna / Eastern meadowlark ), pourtant un des oiseaux autrefois les plus fréquents dans les campagnes américaines.

Références
– Le U.S. North American Bird Conservation Initiative (NABCI) Committee , un regroupement d’agences gouvernementales, a publié une version simplifiée du rapport « State of the Birds 2019 » (lien)
– Le rapport « Decline of the North American avifauna » sur le site de la revue Science (lien)

ABC (American Bird Conservancy), la LPO américaine, n’est pas une organisation d’écologistes radicaux. Sa stratégie est plutôt de rechercher des accords avec les acteurs publics et privés pour améliorer la prise en compte des oiseaux. Cependant voici le constat dressé sur leur site :

La mortalité due aux éoliennes a été estimée à 573 000 oiseaux tués en 2012. Cependant il y a beaucoup plus d’éoliennes en fonctionnement actuellement et les projections pour 2030, voire même plus tôt encore, sont de 1,4 million d’oiseaux si les USA atteignent leur objectif qui est que l’éolien assure 20% de la production d’électricité. Si ce chiffre devait atteindre les 35 % que vise la nouvelle direction du Département de l’Énergie, il se pourrait que 5 millions d’oiseaux soient tués annuellement. Ces estimations n’incluent pas les oiseaux qui seraient tués par les lignes électriques et les poteaux construits pour le transport de l’électricité éolienne, qui pourraient se compter en centaines de milliers, voire millions chaque année.

– Voir le site de l’American Bird Conservency : (lien)

Le US Fish and Widlife Service, qui est l’administration fédérale chargée de la protection de la faune, donne des chiffres équivalents sur son site et fait les mêmes prédictions. Cette administration est très pessimiste quant aux solutions « techniques » : « Actuellement, une fois que les éoliennes ont été construites, il n’y a pratiquement aucune mesure qui puisse éviter ou réduire le risque de collision. L’éclairage des éoliennes peut éventuellement jouer sur leur effet d’attraction, mais une étude a montré que cela ne modifiait en rien le nombre des collisions… Dégrader la qualité de l’habitat et éloigner les carcasses peut réduire l’attractivité du site éolien pour les individus des espèces locales, mais ne réduira en rien le risque pour les oiseaux en migration, de nuit ou de jour. » Elle ne voit pas de solution pour « minimiser les risques » que dans « l’imposition d’une localisation correcte des parcs éoliens » (Ensuring proper siting of wind facilities). Pas de remède miracle donc, pour les pragmatiques américains.

– Visiter la page du site du US Fish and Widlife Service (lien)

Or les USA possèdent une loi que nous devrions leur envier, le Migratory Bird Treaty Act de 1918, qui protège plus de 1 000 espèces d’oiseaux migrateurs sur tout le territoire et rend illégal de mettre en danger ou tuer ces espèces sans une autorisation spécifique. Ce qui oblige les industriels à prendre des mesures pour réduire les risques. Cependant le US Fish and Widlife Service (le même qu’au paragraphe précédent) a agi dans les tous derniers moments de l’administration Trump pour exclure les morts accidentelles (« incidental takes« ) du cadre de la loi, mesure évidemment destinée à faciliter la vie des promoteurs éoliens. Le même service a publié dans la foulée une évaluation montrant que cette réforme allait entraîner une mortalité accrue, les industriels n’ayant plus d’obligation de suivre de « bonnes pratiques ». Sous la pression d’associations de protection des oiseaux, mais aussi en suivant sa propre pente, le USFWS a proposé en mai 2021 un retour à la précédente rédaction de la loi. Le processus est encore en cours.

Migratory Bird Protection Act reintroduced

Une consultation américaine (lien)
La page Wikipédia sur le Migratory Bird Treaty Act , mais qui ne mentionne pas les évolutions de cette année (lien)